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Sète, le 6 mars 2014.

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    Vincent Planel

Gregory Bateson (1904-1980)

Onze citations choisies

1 - La tique et le mammifère

(La Nature et la Pensée, p. 53)

« La larve de la tique grimpe à un arbre et attend sur une brindille extérieure. Si elle sent de la transpiration, elle se laisse tomber et atterrit, éventuellement, sur un mammifère. Mais si, après quelques semaines, elle ne sent pas de transpiration, elle se laisse tomber et s'en va grimper à un autre arbre. La lettre qu'on n'écrit pas, les excuses qu'on ne présente pas, la nourriture qu'on ne donne pas au chat : voilà des messages qui peuvent être suffisants et efficaces parce que zéro, en contexte, peut être significatif. »

2 - Les nœuds dans le mouchoir

(« Comment penser sur un matériel ethnologique : quelques expériences » in Vers une écologie de l’esprit, vol. 1, p. 121)

« Je suggère (…) d'habituer les savants à (…) faire des nœuds à leurs mouchoirs, chaque fois qu'ils laissent quelque chose d'informulé, c'est-à-dire leur apprendre à consentir à laisser cela tel quel, pendant des années, mais en marquant d'un signe d'avertissement la terminologie qu'ils utilisent ; de telle sorte que ces termes puissent se dresser non pas comme des palissades, dissimulant l'inconnu aux visiteurs à venir, mais comme des poteaux indicateurs où l'on puisse lire : « INEXPLORÉ AU-DELÀ DE CE POINT. »

3 - L'écran de la conscience

(« But conscient ou nature »  in Vers une écologie de l’esprit, vol. 2, pp. 223-224)

« Bien sûr, la totalité de l'esprit ne peut pas se transporter dans une partie de l'esprit. Cela découle logiquement de la relation entre le tout et la partie. L'écran de télévision ne vous donne pas la retransmission ou le compte rendu intégral de tous les évènements qui se déroulent dans l'ensemble des processus qui constituent la "télévision". Cette impossibilité ne vient pas de ce que les spectateurs ne seraient nullement intéressés par cette transmission, mais surtout de ce que, pour rendre compte de toute partie supplémentaire du processus global, il faudrait des circuits supplémentaires. Et rendre compte de ce qui se passe dans ces circuits supplémentaires demanderait encore d'autres circuits supplémentaires, et ainsi de suite.
On voit, donc, que chaque nouvelle étape vers l'élargissement de la conscience éloigne d'avantage le système d'un état de conscience total. Ajouter un rapport sur les évènements qui se produisent dans une partie donnée de l'appareil ne fera, en fait, que diminuer le pourcentage des évènements rapportés dans leur totalité. »

4 - La jungle des hypothèses bâclées

(Vers une écologie de l'esprit, introduction)

« Le soi-disant spécialiste en sciences du comportement, qui ignore tout de la structure fondamentale de la science et de 3000 ans de réflexion philosophique et humaniste sur l'homme — qui ne peut définir, par exemple, ni ce qu'est l'entropie ni ce qu'est un sacrement — ferait mieux de se tenir tranquille, au lieu d'ajouter sa contribution à la jungle actuelle des hypothèses bâclées. »

5 - La structure qui relie

(La Nature et la Pensée, p. 16)

« Je m’en prenais récemment aux insuffisances de l’éducation occidentale : dans une lettre à mes confrères du Conseil d’administration de l’Université de Californie, j’avais glissé la phrase suivante : « Si l’on brise la structure qui relie entre eux les éléments de l’apprentissage, on en détruit nécessairement toute la qualité. »
Je vous propose cette expression, la structure qui relie [the pattern which connects], comme un autre titre possible pour ce livre.
La structure qui relie. Pourquoi les écoles n’enseignent-elles presque rien de la structure qui relie ? Est-ce parce que les professeurs se savent porteurs du baiser de la mort, qui ôte la saveur à tout ce qu’ils touchent, qu’ils refusent ainsi d’aborder ou d’enseigner les choses réellement importantes de la vie ? Ou bien sont-ils porteurs du baiser de la mort justement parce qu’ils n’osent rien enseigner de ces choses-là ? Quel est donc leur problème ?
Quelle est la structure qui relie le crabe au homard et l’orchidée à la primevère ? Et qu’est-ce qui les relie, eux quatre, à moi ? Et moi à vous ? Et nous six à l’amibe, d’un côté, et au schizophrène qu’on interne, de l’autre ?
Je voudrais vous expliquer pourquoi j’ai été biologiste toute ma vie, et ce que j’ai essayé d’étudier. »

6 - Esthétique et épistémologie

(La Nature et la Pensée, p. 27)

« Je reste fidèle à l'hypothèse que notre perte du sens de l'unité esthétique a été, tout simplement, une erreur épistémologique. Je crois que cette erreur peut se révéler beaucoup plus grave que les incongruités mineures propres aux épistémologies plus anciennes qui admettaient une unité fondamentale. »

7 - Créature vivante parmi les créatures vivantes

(« La dernière conférence » in Une unité sacrée : quelques pas de plus vers une écologie de l'esprit, pp. 407-408)

« J'affirme que si vous voulez parler de choses vivantes, non seulement en tant que chercheur en biologie mais à titre personnel, pour vous-même, créature vivante parmi les créatures vivantes, il est indiqué d'employer un langage isomorphe au langage grâce auquel les créatures vivantes elles-mêmes sont organisées ».

8 - La responsabilité de mes représentations

(« Cette histoire naturelle normative qu'on appelle l'épistémologie » (1977) in Une unité sacrée : quelques pas de plus vers une écologie de l'esprit pp. 304-305)

« J'aimerais, pour finir, essayer de vous donner un aperçu de ce que je ressens, ou de préciser le genre de différences que cela provoque en moi, quand je regarde le monde du point de vue de l'épistémologie que je viens de décrire, lorsque j'abandonne la façon dont je le voyais avant - et dont la plupart des gens le voient toujours, je crois. (…) Le mot « objectif » tombe tout doucement en désuétude et, en même temps, le mot « subjectif », qui habituellement vous confine à l'intérieur de votre peau, s'évanouit également. Je pense que c'est là le changement le plus important, ce démantèlement de l'objectivité. Le monde n'est plus « là, dehors » comme il semblait l'être auparavant. Sans en être pleinement conscient, sans y penser tout le temps, je sais quand même toujours que les images (…) sont « miennes » et que j'en suis responsable d'une manière assez particulière. »

9 - Le monde est une plaisanterie

(« Intelligence, expérience et évolution » in Une unité sacrée : quelques pas de plus vers une écologie de l'esprit pp. 374-375)

« À mesure que nous avançons, nous arrivons à un monde très différent de celui décrit par le langage habituel, à un monde qui est fondamentalement double dans sa structure. À un niveau d'organisation assez bas (je ne dis pas simple, mais bas), il y a quelque chose qu'on appelle l'apprentissage. Au niveau d'une Gestalt beaucoup plus vaste, on trouve quelque chose qu'on appelle l'évolution. Il existe une sorte de drôle de couplage imparfait entre ces deux niveaux. Nous nous situons surtout au niveau de l'apprentissage mais nous sommes quand même des créatures et nous appartenons aussi à ce niveau beaucoup plus vaste. Nous vivons dans un monde curieusement paradoxal, dans lequel nous faisons de notre mieux. Vous savez, le monde est parfois une plaisanterie - parce que justement, les plaisanteries se trouvent entre les deux niveaux de Gestalt, les deux niveaux de configuration, et, lorsqu'ils se recoupent, nous rions, ou nous pleurons, ou faisons de l'art ou de la religion, ou devenons schizophrènes. Alors qu'allons nous faire? Mais la question n'est pas vraiment de faire quelque chose, naturellement.
Je crois qu'il y a différentes sortes de mouvements. L'un des plus intéressants, c'est le mouvement que vous réalisez quand vous vous trouvez déchirés entre ces deux mondes de niveaux différents. C'est ridiculement confus, ridiculement injuste. (...) Au-delà de ce que nous appelions une double contrainte il y a quelques années, au-delà de ce dilemme (si toutefois vous pouvez faire en sorte que ces niveaux s'affrontent d'une certaine façon, sans fuir la situation, et sans vous faire attraper par le système de santé mentale de l'État), on découvre un autre niveau, une certaine sagesse. »

10 - Dans la gueule du loup

(La Nature et la Pensée, p. 221)

« Je crois que j'aimerais intituler mon prochain livre "dans la gueule du loup", parce que tout le monde n'arrête pas de me demander de me jeter tête baissée dans ladite gueule. C'est monstrueux - vulgaire, réductionniste, sacrilège, appelle ça comme tu voudras - de foncer tête baissée muni d'une question sur-simplifiée. C'est un péché à l'encontre de nos trois nouveaux principes. Contre l'esthétique, contre la conscience et contre le sacré. »

11 - L'univers disséqué

(« La dernière conférence » in Une unité sacrée : quelques pas de plus vers une écologie de l'esprit, pp. 411-412)

« Vous allez peut-être me demander maintenant : "Mais comment arrive-t-on à ce genre d'éducation holistique?" Et cette question est déjà un aveu, car elle montre qu'habituellement nous ne voyons pas les choses comme cela. Elle émerge d'un univers déjà disséqué et non d'un univers organisé, et implique une réponse qui ne peut pas être la bonne. Cette réponse, issue d'un univers déjà disséqué, je ne vous la donnerai pas, car ce n'en serait pas une. »

Taez, mosquée Al-Ashrafiyya (XIII° siècle). [couleurs modifiées]
Taez, coupole de la mosquée Al-Ashrafiyya, XIII° siècle (couleurs modifiées).