Ceci est le cache Google de http://vincentplanel.free.fr/blog/index.php/page/2/. Il s'agit d'un instantané de la page telle qu'elle était affichée le 10 févr. 2013 11:36:11 GMT. La page actuelle peut avoir changé depuis cette date. En savoir plus
Astuce : Pour trouver rapidement votre terme de recherche sur cette page, appuyez sur Ctrl+F ou sur ⌘+F (Mac), puis utilisez la barre de recherche.

Version en texte seul
 
La Sainte Patronne des Ethnologues

La Sainte Patronne des Ethnologues

23 août 2008

On vous fait chantier ! Bon courage…

Classé dans : Non classé — admin @ 0:00

Bon, j’ai quitté Marseille, je suis au Yémen depuis un mois, suffisamment déconnecté et en paix pour m’enfoncer inchallah dans la rédaction. Plus vraiment de raison d’alimenter ce blog sans queue ni tête, donc… Je poste quand-même ici une dernière impression de Marseille, cette affiche qui ornait les murs de la Plaine fin juillet, et qui m’avait fait étrangement plaisir.

Marseille euromerde

A côté des urbanistes et des artistes, n’ont-ils pas oublié les ethnologues? L’avantage d’appartenir à une discipline obscure, c’est qu’au moins on passe entre les gouttes…
Je souhaite aux éventuels lecteurs de ce blog une bonne fin d’été, un bon mois de septembre et de Ramadan.
A bientôt
Vincent

11 juin 2008

Dennis Kucinich et l’impeachment

Classé dans : Non classé — Tags:, — admin @ 10:45

Avant-hier, Dennis Kucinich, le représentant démocrate de l’Ohio au Congrès américain, a proposé de lancer une procédure d’”impeachment” à l’encontre du président américain. Même si la procédure n’aboutira sans doute pas, il était temps! Je renvoie à l’article du monde daté d’aujourd’hui. Dennis Kucinich était candidat aux primaires démocrates, jusqu’à ce qu’il se retire de la course fin janvier 2008.
J’en parle spécialement ici parce que Kucinich, c’est le mec qui fait les premières parties d’Ani Difranco !!!

kucinichandani.jpg

Voir une de ces premières parties ici, et le discours au Congrès . Un discours de Kucinich figure sur un des albums live d’Ani Difranco, enregistré à Portland.
Sur le thème de la propulsion d’Ani Difranco comme figure de proue du mouvement pacifiste américain, j’ai déjà écrit ici. Je renvoie également à une vidéo de 2006 où Ani Difranco évoque cette question de l’impeachment, juste avant de jouer “Millenium Theater”.

Le chas de l’aiguille

Classé dans : Non classé — Tags:, , — admin @ 0:16

Dans mon post de la semaine dernière, à l’écoute de Nina Simone, je m’énervais contre la vision pompeuse et finalement insipide de l’ethnographie qui domine dans le monde académique. Or y’a un passage en particulier qui est mauvais, c’est quand je dis que « on est prié de croire que la bonne ethnographie se pratique comme la cueillette des champignons ». L’image n’est pas bonne, c’est pas ça. En plus ça m’embête, parce que je voudrais pas passer pour un excité cheveux-au-vent, partisan de l’action pour l’action, ou pire encore pour un sale post-moderne…
Et puis voilà que ce soir je travaille à ma thèse, à essayer de poser une fois pour toutes la manière dont j’ai travaillé sur le terrain, et voilà qu’il me vient cette image du « chas de l’aiguille »….
Donc on reprend : on est prié de croire que l’ethnographie se pratique…

… comme un travail minutieux que l’on fait du bout des doigts, genre passer un fil à coudre dans le chas d’une aiguille… Sauf que l’ethnographie ne se fait pas du bout des doigts : c’est sa propre personne, corps et âme, qu’il faut faire passer dans le chas d’une aiguille ! Que de fois on se croit tiré d’affaire, parce qu’on a fait passer un bras, ou une jambe… alors que le plus souvent c’est la tête qui s’obstine à rester coincée !

Aaaah, maintenant je l’aime bien cette métaphore ! Je tapote sur google-image si jamais je trouverais pas une jolie caricature, avec un personnage coincé le cou dans le chas d’une aiguille…
Bon, non, internet n’a pas ça en magasin, juste des images d’aiguilles :

chas d’une aiguille

… des images de falaises :

calanques

… et puis ça :

coran sourate al-a’raf

Ben oui, parce qu’il est dit dans la septième sourate du coran, au quarantième verset :

Sûrement, ceux qui rejettent nos révélations et sont trop arrogant pour les adopter, les portes du ciel ne s’ouvriront jamais pour eux, ils n’entreront pas non plus au Paradis à moins qu’un chameau ne passe le chas d’une aiguille. Ainsi rétribuerons-nous les coupables. (7:40)

L’image du texte arabe est tirée du site www.submission.org, qui ajoute :
“Ainsi, il s’avère que c’est UNE IMPOSSIBILITE PHYSIQUE pour ceux qui refusent de croire Dieu d’accéder au Paradis.”
Bon, on n’est pas forcément d’accord sur le caractère physique de l’impossibilité… C’est toujours cette manière horripilante qu’ont les « barbus » de courir eux-aussi après le scientisme ambiant, à coup de re-formulations grandiloquentes au raz des pâquerettes.
Après plus de 12 ans de recherche informatisée (sic) sur le Coran, une PREUVE PHYSIQUE a été découverte prouvant d’une façon incontestable que le Coran est la parole infaillible de Dieu.”
Voilà qui n’a pour effet que de prêcher les convertis - pire encore : les plus bêtes parmi les convertis -, et finalement de réserver la religion aux anciens dealers ravagés par le hashish et aux informaticiens psychorigides… On a envie de leur dire de laisser parler le texte, et de parler en leur propre nom, chacun s’en portera mieux.

- voilà pour ma requête spéciale auprès du site www.submission.org.
Merci d’avance! -

En même temps, reconnaissons-leur d’avoir mis en ligne ces extraits du Coran, et d’avoir ainsi rendu possible, moyennant la gracieuse courtesy of Google-image, cette heureuse convergence ! Ca sert pour des gens comme moi, rejetons dégénérés de soixante-huitards idéalistes à qui Google sert de culture classique. Bref, j’ai quand-même trouvé cette image et j’ai dit : Tiens tiens…

  • Du coup j’ai pensé aussi au film de Valeria Bruni-Tedeschi: «il est plus facile pour un chameau…» (remarque pour les animateurs de www.submission.org: vous voyez, même la belle-sœur de Sarko elle est pas complètement irrécupérable!)

    il est plus facile pour un chameau…

  • J’ai pensé aussi (parce que j’ai lu son bouquin cet aprem, “Programmer le désastre, la politique israélienne à l’oeuvre”) à ce que dit Michel Warschawski des «Anarchistes contre le mur» qui ont réussi à détourner le mur à Bil’in.

le mur à Abu Dis
(allez voir ma photo prise en 2002 au même endroit)

Warschawski confie son admiration et son étonnement de vieux trotskiste sur cette nouvelle forme de militantisme qui délaisse l’idéologie et travaille à l’intuition, presque au corps à corps… Eux aussi, à leur manière, passent le trou du chat dans l’aiguille…
Bon, il est tard.
Voilà, ça m’a fait penser à tout ça. Maintenant

GRAND JEU CONCOURS :

Toi aussi, raconte ce à quoi ça t’as fait penser, ce chas dans l’aiguille  !
Est-que vous pensez qu’on est dans l’année du chameau?
(… j’en ai raz le bol de parler tout seul sur ce blog… Faites-moi au moins des coucous !)

PS : Quand je dis qu’il faut passer dans le chas d’une aiguille « Corps et âme », c’est aussi le nom d’un bouquin de Loïc Wacquant, très important pour l’ethnographie… C’est marrant, néanmoins, que je parle du problème de la tête qui reste coincée : pas plus tard que la semaine dernière, je discutais du bouquin avec X, une amie (préservons l’anonymat !), qui suggérait que c’est à peu près ce qui est arrivé à Wacquant !

loicboxe.jpgloichome.jpg

1 juin 2008

Anthroppolloggi Goddam !

Classé dans : Non classé — Tags:, , , — admin @ 23:26

Il y a quelques jours, j’ai eu un échange de mails avec une amie qui hésite à se lancer dans une thèse d’anthropo. Elle a bien raison d’hésiter ! Voilà en gros ce que j’ai eu envie de lui dire, pour l’y encourager tout de même.

On a beaucoup reproché ces derniers temps la participation quasi-nulle des anthropologues à la mobilisation de « Sauvons la Recherche », et on fait le même constat sur la LRU. Il y a vraiment là de quoi se poser des questions… Alors allons-y, parce que si on réfléchit 5 minutes, il y a de quoi être ébahi de la manière dont certains, aujourd’hui, continuent consciencieusement à faire leur travail. On déplore, certes, le manque de moyens - surtout quand il s’agit d’employer les doctorants à l’œil sur ses projets quadriennaux… Mais globalement il s’agit surtout de ne toucher à rien, et de maintenir l’illusion dans cette vénérable institution, avec sa sacro-sainte entreprise de « Connaissance de l’Autre ». Pas étonnant que l’ambiance soit morose, dans cette discipline qui ne rêve plus que de la manne financière de Conseils Généraux véreux, avec leurs appels d’offre sur la « tolérance » et la « Méditerranée ».

Alors disons-le : la Connaissance de l’Autre, on s’en fout ! Moi je rêve d’une discipline spécialiste de la « Méconnaissance de l’Autre » ! Après tout, n’est-ce pas ce qu’elle a souvent été à son corps défendant, sous les grandes heures de l’Orientalisme, et ce qu’elle continue d’être dans des institutions comme l’IEP de Paris ?! Moi je voudrais une discipline où l’on nous explique à quel point c’est dur de connaître « l’Autre », ou même simplement son voisin ; à quel point on sue, à quel point on en chie, et ce qu’il faut de foi pour produire empiriquement une connaissance un tant soit peu sérieuse. Mais cela, ça ébranlerait trop les rapports en place, donc on est prié de croire que la bonne ethnographie se pratique comme la cueillette des champignons : le regard en alerte, mais en sifflotant. [Bon, j’ai trouvé une meilleure image depuis, ”comme enfiler un fil à coudre dans le chas d’une aiguille“… Cf autre post] Et ce, y compris dans des pays comme le Yémen, qui subissent le plus durement l’asservissement économique que produisent les rapports de force mondiaux, et que nos pays maintiennent militairement avec nos impôts. Jugez plutôt : mon gouvernement mène en ce moment-même des guerres dans lesquelles les « morts collatéraux » ne comptent pour rien, et moi, je viens de me refaire une dent au prix d’un an de salaire yéménite ! Suis-je bien sûr que mes interlocuteurs là-bas ne font pas le lien ? Après tout, pourquoi s’en priveraient-ils ? Par respect pour l’entreprise de « Connaissance de l’Autre » ?!? Il m’arrive parfois de regretter l’époque où l’on redoutait de voyager avec tant d’or dans la bouche…

« Conscience politique » - comme nous le disent, sourcils froncés, les militants de la LCR - ou peut-être simplement conscience de soi et du monde : notre époque nous prive d’une conscience, nous livrant corps et âme à un sentiment reptilien d’insécurité… (Je pense au genre d’angoisse insaisissable qu’Ani Difranco évoque dans « Parameters » - paroles ici). Cruelle ironie que l’anthropologue lui-même soit déchu de sa lucidité, et par sa propre discipline ! Dans ce contexte les anthropologues rampent, comme tout le monde.
Moi je rêve d’institutions où l’on braille « Mississippi Goddam » dans les couloirs ! ou au moins d’une institution où l’on a conscience un minimum de la temporalité dans laquelle on travaille. Je veux dire, s’émerveiller des merveilleuses constructions formelles que l’on peut élaborer à partir de la « pensée sauvage », on peut comprendre que ça ait été à la mode dans le monde d’après 1945, où l’on croyait encore que l’ONU allait garantir la paix dans le Monde. Mais que penser d’une institution qui ronronne sur ce genre d’idéalisme béat dans le monde des années 2000, face à la vague terrible qui s’annonce ? Pour moi, le seul espoir que je peux nourrir dans mon travail est celui-là : creuser des galeries dans les digues, dans l’espoir qu’elles cèdent plus facilement le moment venu et que l’onde de choc s’en trouve atténuée.

Affiche de l’autre côté

Nos institutions de recherche devraient être des lieux où l’on nous encourage à voyager encore, malgré tout, en s’exposant quelque part « De l’Autre Côté » (je pense au film de Chantal Akerman, vu vendredi dernier au Polygone Etoilé de Marseille), en s’efforçant sans relâche de se dessiller les paupières, d’aller au-delà des apparences, au prix d’années de travail. C’est cela que j’appelle « creuser des galeries », parce que ce travail-là est nécessairement solitaire. C’est nécessairement aussi un travail que l’on paie de son corps (du moins est-ce ce qui m’intéresse le plus dans l’anthropologie contemporaine - je pense à Emily Martin, avec ses « flexible bodies ») car c’est le plus sûr moyen de savoir quelque chose sur le monde, de court-circuiter les formes intermédiaires d’aveuglement collectif (je repense un peu à la LCR, parce que je viens de lire une tribune signée notamment par Luc Boltanski et Elisabeth Claverie ; sinon, je fais plus banalement référence aux « informateurs de service » que l’on rencontre toujours sur le terrain). Bref, un travail déjà suffisamment solitaire là-bas, et qui le serait moins au retour si nous savions invoquer quotidiennement l’esprit d’une Ani Difranco ou, en l’occurrence, d’une Nina Simone. Si l’on savait ne pas se faire avoir par le relooking politiquement correct, où il n’y a plus « des noirs et des Arabes » mais seulement de méchants musulmans et de gentils méditerranéens. Si l’on savait écouter autrement Nina Simone dans les soirées branchées, si « Alabama », « Tennessee » et « Mississippi » faisaient au moins résonner « Tora Bora », « Bagdad » et « Jérusalem »…

Do things gradually
But bring more tragedy
Why don’t you see it
Why don’t you feel it
I don’t know
I don’t know

Faire les choses graduellement // N’amène que des tragédies en plus // Pourquoi ne le voyez-vous pas? // Pourquoi ne le sentez-vous pas? // Je ne sais pas // Je ne sais pas

 PS1. Pour suivre les paroles avec une bonne traduction en français, je renvoie à cette page du blog « l’histgeobox », qui vaut le détour (voir tout en bas).

PS2. A la base, je pensais intituler ce post « Jérusalem Goddam », mais j’ai derivé sur l’état de ma discipline chérie… Néanmoins j’aurais dû. L’Etat israélien a annoncé aujourd’hui la construction de 900 logements dans la partie palestinienne de Jérusalem. Et le journal « le Monde » précise : « à la veille d’une nouvelle rencontre entre Ehoud Olmert et Mahmoud Abbas »… Ah ah ah, la bonne blague ! Vous voyez comment même « le Monde » entretient la mascarade, avec ce pseudo-suspens auquel ne croient que ceux qui s’étouffent de dinde aux marrons… Ce foutu journal se demandera-t-il un jour pourquoi Mahmoud Abbas ne refusera jamais une invitation d’Ehoud Olmert ?

Allez, bonne nuit !

8 avril 2008

Grey au Caire

Classé dans : Non classé — Tags: — admin @ 0:00

Le Caire, mardi 8 avril 2008

Séjournant pour la première fois dans cette ville incroyable… En même temps je n’ai plus vraiment d’excitation à la découverte, plus envie de monter au front, d’aller au contact : ma position de passant anonyme me change du Yémen, et finalement me va très bien. Boah, de toute manière les sessions sont déjà épuisantes en elles-mêmes (je suis là pour un atelier de doctorants). Il me vient l’envie de cette chanson.

Gris

Paroles en anglais ici.

Le ciel est gris, le sable est gris, l’océan est gris
Et finalement je me sens chez moi, dans ce saisissant monochrome, seule sur mon chemin
Je fume, je bois, et chaque fois que je cligne des yeux il me vient un petit rêve
Mais si mauvaise que je sois, une chose dont je suis fière, c’est d’être pire que j’en ai l’air

Quel sorte de paradis est-ce que je recherche ?
J’ai tout ce qu’il me faut, et il m’en faut encore…
Peut-être une petite chose scintillante viendra encore s’échouer sur la plage…

Tu traverses mes murs, comme un fantôme à la télévision, tu me pénètres
Et mon petit cœur rose, sur son petit radeau brun, s’éloigne vers le large
Et que puis-je dire, sinon que je suis câblée ainsi, et que tu es câblé à moi ?
Et que puis-je faire, sinon te faire du coude, sans le faire exprès ?

Quel sorte de paradis est-ce que je recherche ?
J’ai tout ce qu’il me faut, et il m’en faut encore…
Peut-être une petite chose scintillante viendra encore s’échouer sur la plage…

Avec regrets, je crois n’avoir que trois choses à déclarer
Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi comme ça ?
Ultrasons qui s’invitent, doigts de pieds crispés
Sous un ciel gris, sur un sable gris, au bord d’un océan gris

Quel sorte de paradis est-ce que je recherche ?
J’ai tout ce qu’il me faut, et il m’en faut encore…
Peut-être une petite chose scintillante viendra-t-elle encore s’échouer sur la plage…

Oh, on va s’en faire une autre, celle qui vient juste après tombe tellement bien pour conclure la session du jour, consacrée aux mouvements millénarismes des fondamentalistes protestants et islamiques : (> subdivision)

1 avril 2008

L’attestation d’hébergement

Classé dans : Non classé — Tags: — admin @ 12:18

Déjà la semaine dernière, je m’étais présenté à la mairie d’arrondissement :
- « Vous avez toutes les pièces ? »
- « Oui. »
- « Ah bon ? Vous êtes sûr… »
- « Oui, oui… »
Alors le fonctionnaire s’était mis à passer en revue mes feuilles d’impôt, mes factures et mes bulletins de salaire, prenant l’air dubitatif, faisant durer le suspens… Avec gravité, il m’avait questionné sur la superficie de mon appartement, le nombre d’occupants, ainsi que sur mon lien de parenté avec l’Etranger. Moi j’étais venu en vélo, j’étais tout en sueur et j’avais pris le parti de ne pas laisser mon casque « Décathlon » bleu coincé dans mon antivol… J’avais passé la porte de la mairie avec le casque à vélo bleu sous mon bras, et à présent j’adressais au fonctionnaire de larges sourires, baignés dans un regard innocent.
Ce matin, une semaine plus tard, je retourne à la mairie, muni de mon casque à vélo. Quand vient mon tour je tends au guichetier ma carte d’identité : « Je viens récupérer une attestation d’hébergement. » Il prend la carte et la regarde, fait mine de reconnaître mon nom en esquissant un petit sourire malin, puis il fait du coude à son collègue : « Alors, on la lui donne ?… ».
Suspens… Nan, il me la donne. Qu’a-t-il voulu dire ? Qui sait… Moi je lui demande une enveloppe pour ne pas froisser l’attestation. Mais sur le chemin du retour, quand je pédale sur l’Avenue du Prado, les vieilles se retournent sur mon passage. Il faut croire que je chante à voix haute, cette petite musique qui résonne dans mon casque à vélo bleu Décathlon :

(vidéo en concert: http://www.youtube.com/watch?v=fpTLg2OQDn0&t=31m49s)

Je me suis fait arrêter dans l’Ouest du Texas
Pour qu’ils puissent fouiller ma voiture
Ils ont dit : « Etes-vous citoyenne Américaine ? »
J’ai dit : « Oui Monsieur, du moins jusqu’à présent. »
Il a vérifié que je ne passais personne en fraude depuis le Mexique,
Quelqu’un qui voudrait s’installer en Amérique,
Car sinon, où aller ?

Et à chaque frontière,
Un nouveau recueil de lois
Et chaque policier se présente,
Equipé d’un jeu complet de griffes.
Un millier de nuances de blanc
Un millier de nuances de noir
Mais partout la même règle s’applique :
Souris, Bébé, et fais gaffe à tes fesses.

Je suis tombée en panne en Louisiane,
Et j’ai du faire du stop
Je suis monté dans la première voiture
- tu vas pas faire ta difficile au milieu de la nuit…
Il a dit : « Mon bébé, tu aimes t’éclater ? Bébé, tu aimes te faire toucher ? »
J’ai dit : « Peut-être une prochaine fois, fuck you very much ».

[refrain]

Je suis au milieu de l’Alabama
Et ils me regardent aller et venir
Je crois pas qu’ils aiment ma coupe
Je crois pas qu’ils aiment mes fringues
Vivement que je retourne à New York, où au moins quand je passe dans la rue
Personne n’hésite à me dire exactement ce qu’ils pensent de moi.

[refrain]

Une petite ville en Pensylvanie,
- il avait neigé.
Je me garai dans un parking vide
Sans personne aux alentours
Mais sans doute je prenais trop de place,
En essayant de dormir un peu
Car en tous cas un officier vint me dire
Qu’il fallait que je parte.

[refrain]

Every State Line (1992)
(traduction V. Planel)

La première version, façon Joan Baez, figure sur l’album « Imperfectly » (1992). Une version live est disponible sur « Living in clip » (1996). Achetez les disques!

10 mars 2008

Bateson, Ani Difranco et les chats

« Je ne viendrai pas m’allonger moi-aussi
sur des soubassements truqués de part en part,
En ces temps où il sonne encore “radical” d’appeler un chat un chat. »

A spade (2006)

 photo issue de la pochette de reprieve

Voici une longue note, à partir de « a spade », une chanson du dernier album que j’aime énormément (paroles ici). On pourrait s’amuser à recenser les passages où AD adopte le langage des sciences sociales (révolte contre le QCM normalisé : la réponse est fonction de la question…), ou encore s’interroger sur la manière délibérément hallucinée dont elle mobilise le féminisme (« Quand finirons-nous par faire enfin tourner la roue de l’histoire humaine ? »). Mais je voudrais surtout faire un commentaire sur la forme, qui ici rejoint le fond.

La chanson se présente comme un mélange assez étrange, baroque peut-être, de divagations philosophiques, existentielles et politiques, le tout baigné dans une musique délibérément mystérieuse et oppressante. Une atmosphère de cauchemars, en somme. Ou peut-être la lucidité si particulière d’un rêve éveillé, qui lui laisse entrevoir le « dénominateur commun des guerres de l’Histoire »…
Ani Difranco vit les drames de son époque à la première personne. Cela était déjà particulièrement évident dans le poème « Serpentine » (2002), qui s’ouvre sur ces mots : « Dès que je réponds au téléphone, Pavlov m’envoie au visage d’autres mauvaises nouvelles, alors quand je suis à la maison je le laisse sonner et puis je joue, je chante… ». Le propos est difficile, vraiment pas sexy ; la chanson agonise dans une sorte de gémissement… Personnellement j’adore le solo introductif de la chanson, je le trouve magnifique… mais généralement je zappe. « A Spade », c’est autre chose, la sublimation est d’un autre ordre. Au Yémen, je l’écoute en fermant les yeux, le casque sur les oreilles ; ici je monte le volume de la chaîne…

Que s’est-il passé entre 2002 et 2006, durant ces années de guerre en Irak ? Alors qu’apparemment en 2002 il lui arrivait de « ne pas répondre au téléphone », elle s’est trouvée propulsée comme la muse du mouvement pacifiste américain. En témoigne par exemple le livre d’Antonio Negri « Empire », qui s’ouvre avec cette citation de « my IQ » (1993) : « Every tool is a weapon, if you hold it right ». Mais on peut aussi prendre la mesure du phénomène en regardant les films militants : le film d’Amy Goodman dont je parle ailleurs, ceux de Michael Moore il me semble ; on m’a parlé aussi du « monde selon Bush »… Bref, Ani Difranco est devenue la bande-son qui s’impose, la voix d’une Amérique sans voix face au spectacle des enfants irakiens déchiquetés. Elle est donc à présent, dans sa personne même, un rouage du Drame (cette situation, j’aime la rapprocher de celle d’un ethnologue faisant l’expérience personnelle, dans son corps, du « choc des civilisations » - c’est là au fond le propos de ce blog).

 

AD devant le Sénat américain (trucage?)

Bien entendu, l’exposition particulière d’Ani Difranco modifie nécessairement la manière dont elle vit l’actualité et en parle. Les enjeux deviennent d’un autre ordre (d’où l’injonction à « s’y mettre » de 2005). Pour saisir l’ampleur de la métamorphose, il n’y a qu’à repenser à sa fébrilité au moment de lancer « Self-evident » au visage du public New-Yorkais quelques mois après le 11 septembre 2001 (qu’elle évoque dans l’enregistrement de Carnegie Hall). A présent, cette gêne a manifestement disparu : pour vous en rendre compte, allez voir cette vidéo-pirate de « your next bold move » en 2007. Il y aurait vraiment une analyse à faire de ce mélange d’informel et de gravité, de la manière dont elle négocie la chanson, dont elle la « performe », et de ce que cela dénote du mouvement qu’elle parvient à incarner. Or cette gestion est avant-tout d’ordre personnel : une renégociation de l’intimité, dans des circonstances où elle se trouve dans une certaine mesure dépossédée d’elle-même. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre le « glissement prophétique » auquel on assiste dans l’album « reprieve ». Ani Difranco ne peut plus parler de la guerre à la première personne, il lui faut à présent mobiliser Hiroshima, la Grande Roue de l’Histoire Humaine et la Maternité Féconde, seule garante du Renouveau (chez quelqu’un qui, par ailleurs, prend régulièrement position pour défendre le droit à l’avortement) :

« Feminism ain’t about equality, it’s about reprieve ».

couverture de reprieve

Mais la question que je voudrais poser est : pourquoi elle ? C’est là la question intéressante, consistant à aborder le phénomène en micro-historien, comme Giovanni Levi avec son « exorciste dans le Piémont du XVIIe siècle ». Pourquoi précisément cette chanteuse a-t-elle assumé ce rôle-là ? Pourquoi est-ce elle, de tous les musiciens partageant son envergure, qui a su produire un poème comme « Self-evident » dans ces circonstances historiques précises ? La réponse se trouve largement dans la trajectoire d’Ani Difranco, dans une indépendance dont souvent on ne mesure pas l’importance, tant nous sommes au fond accoutumés à l’asservissement de l’expression artistique, y compris sous ses formes “militantes”.
La profondeur du malentendu peut s’observer avec « A Spade », dans cette forme « baroque » et dans les réserves qu’elle suscitera chez un auditeur français qui, n’aillant pas suivi l’histoire depuis le début, trouvera tout cela assez écœurant et manquant franchement de subtilité. S’il y a quiproquo, c’est que l’auditeur français s’attend en fait intuitivement à un exercice de style, répondant aux critères propres de la « chanson engagée » : caractère inachevé, « brouillon », « spontané » ; une chanson trop “léchée”, ça fera chanson humanitaire de supermarché… C’est qu’il y a en France une manière légitime d’être politisé : un ton adapté, peut-être surtout une posture et une « juste distance »… Ces critères doivent exister, faute de quoi nous serions bien en peine de distinguer la « véritable » chanson engagée de celle que nous entendons en faisant nos course, quand Virgin et Monoprix, main dans la main, nous expliquent quoi penser de la « petite fille Afghane de l’autre coté de la Terre ». Sauf que par la censure qu’ils exercent, ces (contre-)critères esthétiques ménagent finalement une modalité réglée de l’engagement, qui contribue à son tour à brouiller les pistes.
C’est là que j’en viens à Bateson : appeler un chat à chat, c’est d’abord être capable de produire un cri, et pas seulement ce qui le dénote. Au sens où Gregory Bateson, dans sa « théorie du jeu et du fantasme », observant de jeunes singes en train de jouer au zoo, explique que « le mordillage ludique dénote une morsure, sans pour autant dénoter ce que dénoterait une morsure » (p.250 de « vers une écologie de l’esprit »). De même que les boutades « homoérotiques », au sein des groupes masculins de pairs, dénotent l’homosexualité sans pour autant être équivalentes à une homosexualité effective ; la vraie makhnatha commence quand on ne sait plus faire la différence entre les deux. Lorsqu’on ne distingue plus la contestation de ses attributs conventionnels, parce qu’il importe surtout de savoir se moquer, avec les Inconnus, des « Florent Brunel » en tous genre… Ou encore lorsque tout le monde semble croire qu’il suffit, pour déréaliser la guerre en Irak, de ne pas être dupe des effets de réel produits par CNN.

Je dérive et je commence à être long… Le fond du problème, c’est combien l’inflation de médiatisation (au sens anthropologique) qui caractérise la modernité occidentale rend problématique le témoignage lui-même (tout comme l’honneur…). Cela vaut pour une chanteuse engagée comme pour un ethnographe, potentiellement un « circumstantial activist » lui-aussi. Sauf qu’aujourd’hui en France, le seul prof dans mon cursus d’anthropologie qui m’a préparé à ce genre de questions, c’est Rémo Guidieri, et manifestement les gens de Nanterre le considéraient comme un vieux fou… Alors ma foi, heureusement qu’Ani Difranco est là, avec ses cauchemars grandiloquents, qui sont aussi les miens.

Dear friends, women and men, what better time to face
That we’ve been looking for the answer to war in the wrong place.

Utah Phillips et la machine

Classé dans : Non classé — Tags:, , — admin @ 14:02

les temps modernes
Tiens, à propos du mot rouage utilisé ailleurs, cette citation qui résume tout, et qui servait d’ouverture aux concerts d’AD à un moment donné :


Découvrez Ani DiFranco!

There comes a time when the operation of the machine is so odious that you cannot even tacitly participate. You’ve got to place your body on the gears, the wheel, all the mechanisms, and you’ve got to indicate to those who run it and to those who own it, that unless you are free, the machine will be prevented from working at all.

 

Tire à l’origine de: the past didn’t go anywhere (1996) paroles de Utah Philips éditées et remixées par A. Difranco

Couverture de Fellow Workers

9 mars 2008

Open fire on NBC and CNN and ABC…


(La chanson démarre à 1:08)

« Your next bold move »

logo rbr

(paroles)
La meilleure façon d’introduire cette chanson est peut-être de restituer le « contexte d’énonciation » d’un soir, tel qu’il est rapporté par Amy Goodman dans un plaidoyer sur la couverture médiatique en temps de guerre. Quelques accords d’Ani Difranco servent de bande son au reportage, jusqu’à ce que le lien soit explicité vers 23:27 (transcription de cette partie tout en bas).

Your Next Bold Move

Devenant adulte sous la malédiction de Reagan et de Bush
Voyant le capitalisme descendre la démocratie
Cela eut sur moi cet étrange effet :
Je suis Cancer, je suis HIV
Et me voilà à l’hôpital du Jesus bleu sur la croix bleue (?)
Levant juste les yeux de l’oreiller,
Avec le sentiment d’une bénédiction.

Les puissantes multinationales
Ont acquis le monopole sur l’oxygène
Si bien qu’il suffit de respirer pour participer.
Oui, ils achètent et vendent leurs parts d’air pur,
Et tu sais qu’il est tout autour,
Mais c’est dur de pointer, de pouvoir dire « Là ! »
Alors tu restes assis sur tes mains,
Et contemples calmement.

Le prochain de tes actes francs,
La prochaine chose qu’il te faudra prouver à toi-même.

Quel gâchis de pouces opposables
Que de produire des machines jetables,
Pour les vendre à des mouettes qui tournent en rond
autour d’une seule grande aile droite.
Oui, l’aile gauche a été brisée il y bien longtemps
Par la fronde de la CoIntelPro
Si bien qu’il est si dur à présent d’avoir foi en quoi que ce soit.

Le prochain de tes actes francs,
La prochaine chose qu’il te faudra prouver à toi-même.

Tu veux suivre le filet d’eau jusqu’à sa source
Puis hurler dans le tuyau jusqu’à en perdre la voix
Car tu es entouré de tout un monde de choses que tu ne peux simplement pas excuser.
Tu as la méchante toux d’un gros fumeur,
Et au cercle polaire tu joues au strip-poker
Et il fait de plus en plus froid chaque fois que tu perds.

Alors vas-y, fais ton acte franc
La prochaine chose qu’il te faudra prouver à toi-même.

[Traduction rapide par VP. Help SVP sur les (?)]

Personnellement, je trouve cette chanson absolument magnifique, elle m’émeut profondément à chaque fois. On a besoin de ça aussi.
Surtout même, non ?

On entend aussi au début cet extrait de Self-Evident:

you can keep the pentagon
you can keep the propaganda
you can keep each and every tv
that’s been trying to convince me
to participate
in some prep school punk’s plan to perpetuate retribution

Le slogan “Open fire on NBC…”, est tiré d’une autre chanson, « To The Teeth ». Vous pouvez voir AD la jouer dans une émission d’Arté, sous-titrée en français (mal, m’enfin… Ils ont légèrement euphémisé le « while he’s giving head to some republican senator »…). Passez sur l’intro un peu « bêbête », où le féminisme d’Ani Difranco semble vraiment premier degré, ce qu’il n’est pas.

couverture to the teeth

Transcription de l’extrait d’Amy Goodman

(tirée du blog d’Astrubal)
23:37
AMY GOODMAN:
On the night that the bombing began to go over to the Ani Difranco concert at the New Jersey performing arts center some of you may have heard what happened. You might wonder, why go on the moment that the bombs are about to fall, but 2000 young people were packed into the fine arts center in Newark, New Jersey to see Ani, a wonderful artist perform. And she said I could introduce her and also explain the importance of independent media in a time of war and where people could get alternative information. They were also going to have political tabling and we raced over to the performing arts center and I called the cell phone and Ani answered. I thought she was going on the stage and getting ready and I said “what are you doing answering this phone?” She said, “I don’t know if the concert’s going to go on. They’ll probably close down the concert if you go on the stage, They said no political speech allowed but we are willing to risk this. They said take the mike and make your statement about democratic media in a time of war and if they close the mike which we expect, we have a mike right behind that’s Ani’s mike and pick it up and just keep on talking”. Now why is this significant and why does it relate to the rest of the country? Clear-Channel is the very Bush-connected company that went from owning 47 radio stations to 1400 in no time at all. As the FCC and Michael Powell son of General Colin Powell who heads it are in the process of deregulating the media and so we have seen this explosion of ownership, except I would say a concentration of ownership, owning 1400 radio stations in the country. They are sponsoring pro-war rallies and they are saying that music that is critical of war cannot be played and their pushing other kinds of songs and they’re saying no political speech aloud.

Well we got up and we gave our little speech and they didn’t close the mike and Ani got up and she said, “that’s one for the people and zero for the knuckle-heads.” and then she sang…

ANI DIFRANCO: Your next bold move. The next thing you’re going to need to prove to yourself…

L’évidence-même…

Classé dans : Non classé — Tags:, , — admin @ 11:47

« Self-evident », le poème d’Ani Difranco sur le 11 septembre se passe de commentaire. Je reproduis ici qq lignes à propos du concert où le poème a été « créé », à New York (Carnegie Hall) :

It was April 6, 2002, seven months after 9/11, which in emotional time is more like seven minutes. (…) My touring since the fall had been affected by the climate of fear and uncertainty, in that audiences were sparser than usual and by mid-spring had only begun to normalize. (…) In this particular recording i can hear my nervousness increase as i approach the point in the evening where i intend to lay « serpentine », and then « self-evident », on the audience.

(tiré de la pochette du disque de ce concert, sorti il y a quelque temps déjà. Vous trouverez les textes des deux poèmes sur la page de présentation. Self-evident est téléchargeable en MP3 ici. Une lecture publique ).

canon couverture

« Articles plus anciensArticles plus récents »

Propulsé par WordPress