Ani Difranco, Mujtahid BabeMarseille, le
1er avril 2008
Dans ce blog dédié à Ani Difranco, vous trouverez quelques drôles de tags comme le mot « ijtihad » : en arabe, il signifie quelque chose comme le « jihad pour soi », c’est-à-dire l’effort personnel d’interprétation de l’islam en vue d’adopter la juste ligne de conduite, dans les circonstances particulières auxquelles la vie vous confronte. C’est un peu mon sentiment, j’ai envie de dire : tout chez Ani Difranco est ijtihad (Personal is political est plutôt la formule consacrée). Les premiers articles que j’ai postés contiennent ainsi des références plus ou moins appuyées à l’islam, un peu dans tous les sens : jusqu’à présent je les ai laissées comme elles me venaient, sans être plus explicite. C’est pourtant la raison d’être de ce blog. Je mène au Yémen un travail qui comporte une part importante de « réflexivité ethnographique », qui consiste à se poser ce genre de questions : dans mon comportement, dans mon attitude, dans les circonstances de mon arrivée, qu’est-ce qui a fait que j’ai vu ce que j’ai vu de la société yéménite ? Tout comme les mesures empiriques d’un physicien ne valent qu’accompagnées de leurs « conditions expérimentales », l’image d’une société produite par un ethnographe n’a d’intérêt que si l’on sait précisément de quoi il parle, et comment il s’y est pris. Donc dans un premier temps, afin de décrire et d’analyser « ce qui se passe », on fait usage de tout un arsenal d’outils théoriques plus ou moins adaptés - sociologiques, interactionnistes, structuralistes… - issus de traditions académiques élaborées au cours du vingtième siècle. Mais à terme finalement, avec ce qu’on appelle la morale, toutes les sociétés produisent « en interne » une analyse du même ordre, mettant en relation des actions individuelles et des faits plus larges : qui sème le vent récolte la tempête, par exemple… Ce que je veux dire ici, c’est qu’à mon sens une démarche réflexive n’acquiert toute sa force qu’à partir du moment où elle parvient à se réinscrire partiellement dans les termes d’une problématique morale locale. L’objectif, c’est que l’analyse réflexive devienne en partie commensurable avec les discours que la société produit sur elle-même. Bref, un terrain au Yémen, c’est une interpellation. Mais pas de celles auxquelles nous sommes accoutumés, qui adoptent le vocabulaire dominant pour le contester sur son propre terrain (Comment pouvez-vous parler de Démocratie ? Comment pouvez-vous parler de Droits de l’Homme ? vous les “Occidentaux” qui…). A travers les circonstances pratiques de sa coexistence avec les enquêtés, l’ethnographe est confronté à une interpellation abrupte, souveraine, qui ne se justifie pas. Ma manière d’être et ma dignité, ma parole et mon rapport à l’argent, à l’amour, à la séduction - mon rapport à la morale elle-même : une interpellation en actes. Transmettre le contenu de cette interpellation, c’est peut-être l’objet de la thèse que je suis en train de rédiger. Mais en attendant, et de manière plus immédiate, voilà comment la musique d’Ani Difranco a résonné de ces interpellations successives, et résonne encore. |
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Ani Difranco - Willing to Fight, 1993 Paroles & traduction :
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